Sur ce site, je me concentre à dessein sur deux groupes de familles « levantines » qui ont résidé à Smyrne :
- Les familles européennes
- Les familles arméniennes catholiques
Pourquoi ce choix ? Essentiellement, parce que ces deux groupes correspondent aux origines de ma famille maternelle. En faisant des recherches sur ma famille, en multipliant les lectures sur les européens et arméniens catholiques de Smyrne, j’ai naturellement accumulé des informations sur d’autres familles faisait partie de ces deux groupes. Je dispose, en revanche, de trop peu d’informations sur les familles arméniennes grégoriennes, sur les familles juives, ou encore sur les familles grecques orthodoxes de Smyrne, pour que cela puisse être utile à quiconque. Je fournirai toutefois des références bibliographiques ou des liens vers des sites internet consacrés à l’histoire ou aux généalogies de ces autres communautés.
Quelques précisions sur les deux groupes précités:
1. Les familles européennes :
Je m’intéresserai aux familles européennes qui ont vécu au Levant, et notamment à Smyrne, pendant plusieurs générations et pour certaines pendant plusieurs siècles, ces «Européens avant l’heure», pour paraphraser le titre d’un ouvrage de Livio Missir, L’Europe avant l’Europe (Editions Arts & Voyages, Collection Inédits, 1979). Il y a bien sur eu à Smyrne, comme ailleurs, des européens de passage, des diplomates par exemple. Ces expatriés Européens qui ne faisaient qu’un séjour de quelques années au Levant, sans y faire souche, sans se laisser influencer par les coutumes de l’Orient ne se considéraient pas (à juste titre, je pense) comme des « levantins» et ne feront donc pas l’objet de développements particuliers sur notre site. Parmi les européens « levantins », je parlerai surtout des familles françaises et italiennes de Smyrne parce qu’il s’agit des nationalités européennes pour lesquelles je dispose du plus grand volume d’informations. Mais je m’efforcerai aussi de traiter d’autres nationalités telles que les néerlandais, anglais, suisses ou allemands.
J’ai conscience que parler de la communauté ou « colonie » européenne de Smyrne est une simplification extrême. Elle est volontaire et reflète aussi une tradition orientale assez ancienne. En effet, dans tout l’Orient et depuis longtemps, les européens étaient désignés par le terme commun de « Francs » quelle que puisse être par ailleurs leurs origines, leur nationalité, leur religion. Derrière ce terme générique de « Francs » ou d’européens, se cachait bien évidemment une incroyable mosaïque de peuples et de familles originaires de nombreux empires, pays et régions d’Europe occidentale et centrale, notamment d’Angleterre, d’Autriche-Hongrie, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Russie, des Balkans, et d’Italie.
Là encore ce dernier terme (Italie) est volontairement simplificateur. Je n’ignore évidemment pas l’unification relativement récente de l’Italie. Aux époques où ces « italiens » se sont établis au Levant, principalement pour y mener des activités commerciales, au 15ème et au 16ème siècles, l’Italie-nation que nous connaissons aujourd’hui n’existait pas encore et ces individus ne se voyaient pas comme « italiens » mais comme des citoyens des Cités-Etats de la péninsule qu’étaient, entre autres, les républiques et comptoirs de Venise, Gènes, Livourne, etc.
C’est d’ailleurs en grande partie à cause, ou plutôt grâce aux anciennes familles italiennes de Smyrne que je serais amené à parler de Chios. En effet, si certaines familles venaient directement de Venise, Florence, Bari, ou Gènes, un grand nombre des familles italiennes (le plus souvent génoises) de Smyrne dont nous parlerons ont vécu sur l’Ile de Chios pendant plusieurs siècles avant de s’établir à Smyrne. Il me semble donc impossible de parler des familles italiennes de Smyrne sans évoquer Chios. Nous y reviendrons.
2. Les familles arméniennes catholiques de Smyrne:
Contrairement aux idées reçues, la communauté arménienne de Smyrne (et plus largement de l’Empire ottoman) n’était pas un bloc monolithique. Elle était divisée en deux sous-ensembles, qui seront d’ailleurs officiellement reconnues comme deux «nations» distinctes par la Sublime Porte :
- les arméniens apostoliques ou grégoriens – largement majoritaires.
- les arméniens catholiques – minoritaires au sein de la communauté arménienne.
On pourrait même ajouter une troisième sous-composante, car une partie des arméniens de l’Empire ottoman furent convertis au protestantisme par des missionnaires en provenance, notamment, des Etats-Unis.
A propos des deux principales composantes de la communauté arménienne de Smyrne -la grégorienne (majoritaire) et la catholique (minoritaire)- j’ai découvert à regret lors de mes recherches que le premier sous-ensemble avait eu des réticences à admettre «l’arménité» du second, et que le second groupe avait souvent eu une forme de complexe de supériorité vis-à-vis du premier, fort de ses relations privilégiées avec les européens de Smyrne.
Ainsi, au fils des générations, les arméniens grégoriens et catholiques de Smyrne se sont progressivement éloignés les uns des autres. Ne se sentant pas forcément bienvenus dans les églises grégoriennes, les arméniens catholiques ont commencé à fréquenter les mêmes églises que les français ou les italiens, de rite « latin » comme eux, notamment les églises Saint Polycarpe et Sainte-Marie. Puis, arméniens catholiques et européens ont fait des affaires ensemble ; enfin ils ont complété ces partenariats d’affaires par des mariages mixtes. Peu à peu, les arméniens catholiques ont oublié leur langue d’origine, et ont cessé de la transmettre à leurs enfants. Ils ont adopté le français, l’italien, ou le grec comme langue non seulement d’affaires mais aussi au sein du foyer. Et ayant souvent en leur sein un membre de la famille qui travaillait comme interprète diplomatique (ou drogman) dans un consulat d’une puissance européenne, en particulier la France et l’Italie, nombreuses familles d’arméniens persans obtiendront d’abord le statut de « protégés français » ou de « protégés italiens » avant d’acquérir, beaucoup plus tard, la nationalité de ces pays et de s’installer naturellement un jour dans ces pays, à l’heure de l’exode. Et c’est souvent ainsi que les familles Missir, Mirzan, Balladur, ou Issaverdens sont devenus françaises, italiennes ou belges.
A propos des relations entre arméniens catholiques et européens levantins de Smyrne, certains parlent d’acculturation. Je ne sais s’il est approprié. Si le rapprochement entre arméniens latins et européens se comprend parfaitement, je trouve que le mur qui s’est progressivement érigé entre arméniens grégoriens et catholiques, l’incompréhension, voire l’indifférence qui est apparue entre eux, sont regrettables. Il est dommage que le rapprochement avec les familles européennes n’aient pu se faire sans un éloignement des arméniens entre eux et que des différences théologiques l’aient emporté sur les nombreux points communs qu’avaient arméniens grégoriens et catholiques de Smyrne, en termes d’origine, de langue, de culture…Mais c’est un débat complexe, que nous pourrons avoir plus tard.
Retenons pour l’instant que le groupe d’arméniens de Smyrne auquel je m’intéresse plus particulièrement sur ce site est celui des arméniens catholiques. Cette communauté était composé d’arméniens originaires soit d’Ankara (les « Anguriotes ») soit de provinces plus éloignées de l’Arménie qui étaient sous domination de l’Empire Perse, tels le Nakhichevan, province dont était originaire ma famille (Mirzan, Micridis). En raison de leurs origines, ce second groupe d’arméniens catholiques fut appelé à Smyrne le groupe des « Persans ».
J’aurais ultérieurement l’occasion d’expliquer comment ces arméniens ont été convertis au rite catholique (qui comme je l’ai dit n’est pas le rite majoritaire du peuple arménien), par qui et à quelle époque, et dans quelles contexte ils se sont établis à Smyrne.
Pour l’heure je veux expliquer pourquoi je vais traiter en parallèle des familles arméniennes catholiques et des familles européennes de Smyrne . La raison, fort simple, est la suivante: par affinité religieuse et culturelle, ces familles arméniennes catholiques de Smyrne, notamment les « Persans », ont conclu au fil des années de vie à Smyrne de multiples alliances d’ordre commercial et familial (des mariages) avec des familles européennes, qui y étaient établies, notamment des familles françaises et italiennes.
De fait, si vous descendez de familles françaises ou italiennes de Smyrne, ne vous étonnez donc pas de trouver des patronymes à consonance arménienne ou orientale dans votre arbre, et vice versa. Ma famille est un exemple typique de ce phénomène : je compte parmi mes ascendants smyrniotes des arméniens persans de rite latin (Mirzan et Micridis) et des italiens de Gènes et Chios (Castelli). Ce schéma se retrouve dans beaucoup de familles levantines, à telle enseigne que Livio Missir (lui-même descendant d’une ancienne famille persane, apparentée aux Balladur, Issaverdens, Mirzan et Micridis) utilisait les termes de « latinité ottomane » et de « familles latines » pour désigner ces familles, ces communautés composées à la fois d’européens résidents du Levant et d’arméniens catholiques.
Ignorant l’existence de ces termes avant que je n’entame mes recherches en 1997, il m’a fallu du temps pour véritablement en saisir la signification. Au fil de mes lectures, et découvrant l’étendue et l’étroitesse des liens familiaux et d’affaires qu’avaient noués ces deux communautés, j’ai enfin réalisé ce que Missir voulait dire. Par leurs alliances, génération après génération, ces deux communautés, aux origines fort différentes, l’une issue de l’Occident et l’autre de l’Orient, et par simple affinité religieuse et culturelle, ont donné naissance à une nouvelle variété d’individus, plus tout à fait européens ni arméniens ou orientaux, mais un peu tout cela, bref de vrais Levantins…
En évoquant les familles levantines de Smyrne (et dans une moindre mesure, de Chios), je vais essayer de donner ici une idée de l’incroyable mosaïque de peuples que fut cette région du Levant tout en évoquant l’histoire de certaines familles représentatives de ce phénomène et dont le parcours m’est connu.